Précédemment : Acte I : L’essai : Rod Fergusson et les heures supplémentaires à la GDC 2009
Acte II : La transformation : Les propos de Mike Capps à l’IGDA
Acte III : La justification : Le droite de réponse de Mike Capps chez Joystiq
Acte IV : Concluons
De très bons commentaires ont été publiés tout au long de ce week-end. Avant d’en citer quelques-uns, je vais essayer d’éclaircir un peu cette histoire.
Un projet peut se retrouver coincé à faire des heures supplémentaires à cause de 3 facteurs :
- Pas assez de gens
- Pas assez de temps
- Portée du projet trop importante
- Ping-pong/Girouette décisionnaire – ce 4ème cas est un peu à part
Epic rencontre généralement le problème du « pas assez de gens » (ils étaient 80 sur Gears 2) et du « pas assez de temps » (il faut sortir à Noël sinon on ne vendra pas). Eux assument clairement leurs heures supp’ (enfin, surtout leur boss qui lui, ne produit pas, c’est important à signaler).
Le gros problème dans notre industrie, c’est la passion. Epic ne recrute pas les gens qui ne sont pas motivés, j’ose même pas imaginer comment ils font pour recruter des animateurs (la plupart des animateurs dans le jeu n’en n’ont rien à carrer de cette industrie -ils préfèreraient faire du précalc. Certains ne jouent même pas. D’autres ne jouent même pas sur le projet sur lequel ils travaillent. Personne ne peut les blâmer, je veux dire, les ITs dans les banques doivent bien se faire chier également).
Ca commence à s’arranger car les gens vieillissent et fondent une famille, mais la passion reste l’argument numéro un des producers. Or, quand l’on débute son boulot dans le jeu vidéo et que l’on se retrouve en compétition avec 50 jeunes qui sortent tous frais d’écoles de jeu pour 1 place dans une boite, qu’est ce qu’il se passe ? Et bien on ferme sa gueule et on accepte n’importe quoi. Tu comprends coco, c’est la « crise » (Nintendo a fait 2 millards € de bénefs). Mais bon, on est jeunes quoi, et puis nos écoles nous ont appris à ne pas compter les heures.
En France, on est encore dans le trip « la production de jeu vidéo, c’est du travail saisonnier ». Les CDDs de 3 ou 6 mois sont légions (même pour les seniors, un comble !!!). De toutes façons on ne renouvellera pas à la fin de la prod. Sauf qu’on te fait miroiter un CDI si jamais tu te « défonces pour le produit ». Et les jeunes, ben ils n’ont pas grand chose à perdre alors ils y vont à fond, en caressant l’espoir de sécuriser leur poste d’ici quelques mois.
Pourtant Epic semble ne pas avoir de juniors (apparamment les employés ont tous sorti 5 ou 6 jeux) – ou tout du moins très peu. Ca veut dire que les mecs sont là depuis au minimum 5 ans – ce qui est énorme. Alors comment ça se fait ? Parce que ces gars-là ont quasiment tous une vie après le travail… La culture d’entreprise y est sûrement pour quelque chose. Avec un turnover aussi bas, ce sont sûrement des gens qui sont là depuis les débuts d’Epic ou presque, et qui n’ont jamais connu une autre façon de développer des jeux. C’est peut-être un élément de réponse au fait que les gens acceptent les heures supplémentaires non rémunérées (seulement à posteriori sur les ventes des jeux).
Petit calcul donc. Epic contient 110 personnes (répartis sur le moteur, le support d’UT3, le support de Gears 2 (DLC inclus) et certainement un nouveau projet – qui peut être le portage de Gears 2 sur pc, un Gears 3 ou autre chose). Les royalties se font par année. Mike dit qu’ils ont un grand pot dans lequel ils mettent TOUS leurs bénefs (pas seulement les ventes de jeux, mais aussi les licences du moteur -à 1 million $ pièce en moyenne !!).
Gears 2 : environ 4 millions d’exemplaires, soit 800 000 dollars de bénéfices (si on part du principe qu’ils touchent 20% à chaque DVD vendu)
UT III : environ 1,1 million soit entre 200 000 et 250 000 dollars de bénéfices (en comptant la version PC qui permet de gagner plus)
Epic a vendu l’UE3 des dizaines de fois en 2008 (Mirror’s Edge, Wolverine, Batman, Bioshock 2…je ne vais pas tous les citer)… mettons 10 millions (!!!).
Du coup, leurs jeux pourraient tout simplement se planter sans que ça impacte les bonus des salariés d’Epic !
Pour en revenir aux heures supplémentaires, -V- a pointé un article de LostGarden avec un graphique très clair sur la productivité :

Au bout de 4 semaines, la productivité est perdue. Sur Gears 2, ils auraient fait 2 mois d’heures supp’. Je pense qu’ils ont dû sentir l’impact, même si le fait de les accomoder en fonction des désideratas des employés a du minimiser les dégâts.
fernando dit :
23 mai 2009 à 20:28
Je ne vois pas où est le problème. Faire des heures sup est, je pense, normal. Les mecs ont la chance de travailler dans un secteur de passioné, ils sont bien payés. Il n’y a rien de choquant à faire 40h/sem + 10h sup, il suffit d’aller lire sur des sites de SSII par exemple (pour rester dans le domaine de l’informatique) pour se rendre compte que 60h/sem + veillé d’avant projet ne sont pas rare.
Ca m’étonne que personne n’ai gueulé à ce sujet pour les SSII. De toutes façons, vu leur taux de turnover affolant, ça ne m’étonne qu’à moitié. De toutes façons, c’est pas parce que les SSII le font que les boites de jeux doivent le faire aussi.
wolfreim dit :
21 mai 2009 à 16:57
En fait, il faut espérer que les grosses boites de jeux videos n’adoptent pas la politique de certains studios de SFX-pub dont un très connu en France (que je ne citerai pas ^^) où les employés se sont retrouvés sur certains projets à ne plus avoir de vie sociale, à passer leur vie dans leur boite à bosser comme des tarés (notamment en rendu-compo en bout de chaine) et ne pas être crédités au générique pour cause de places limitées.Dans le centre de formation où je suis, on nous fait comprendre implicitement que si tu passes pas 12 heures par jour à faire de la 3D, c’est que tu n’es pas passionné/ou pas ta place dans l’industrie. Autant dans les années de mes 20 balais, bosser comme un morphale et être un nolife absolu ne me dérangeais pas, autant maintenant c’est plus délicat surtout quand tu vis en couple et que tu as des enfants: faire des heures sup ne me gêne pas surtout en cas de coup de bourre, mais quand ça devient la routine, là faut sérieusement commencer à se poser des questions…
Après effectivement je peux aussi comprendre que des gens soient perfectionnistes, aient envie de se dépasser et donc de faire plus d’heures. Mais bon, dans ce cas ci, ça ne doit rester que de la passion et issu d’une démarche personnelle d’accomplissement, cela ne doit surtout pas être imposé par un manager sur une grosse période .
Dans mon cas strictement personnel, je pratique la 3D (à mon centre de formation et chez moi le soir, en rentrant entre temps pour me donner l’illusion d’une pause-coupure) pas loin de 13h30-14h, le tout en me levant à 5h30 du mat et en finissant à 24h. Mais bon… je ne fais ça qu’en semaine et surtout pas le week end (dont j’ai besoin pour récuperer les heures de sommeil manquantes, avoir un semblant de vie sociale etc ).Et pour le moment je fais ça , uniquement dans le but de progresser plus vite et rapidement .
Sinon pour revenir à Epic j’ai pas l’impression que les 60 heures par semaine dont on cause, ce soit du temps de présence mais plutôt de travail effectif à temps plein, lorsque l’on voit Gear Of War 2 et la masse de travail et de production qui y a été accomplie dans une période de temps très courte
C’est assez affreux ce qui se passe ailleurs en effet, j’ai l’impression que le cinéma n’a pas non plus évolué alors qu’il roule sa bosse depuis plus de cent ans. Y’a t’il eu des actions en justice à ce sujet ?
Quant à la prod de Gears 2, je pense que les mecs sont « relativement » productifs (comme l’a dit El_Porico) en plus de connaître le pipeline de prod sur le bout des doigts. C’est le cas pour la plupart des suites de jeux (GRAW 2 a été également torché en 1 an : même équipe, même tech).
Pour conclure (pour de vrai). Il existe des solutions pour éviter les heures supp’. Soit il faut recruter davantage, soit mettre plus d’argent, soit réduire la voilure et supprimer des features. Si vous ne faites aucune de ces concessions (pas d’argent, éditeur qui refuse de laisser passer Noël, attachement au projet), vous allez au-devant de longues soirées au boulot.