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Les papys du modmaking francophone (Partie V)

Précédemment : PMODS (Partie IV)

Il est temps de nous intéresser à tous ces acteurs qui squattaient les forums d’Half-Life Design, et sur ce qu’ils sont devenus après toutes ces années. Première personne à passer sous le feu des projecteurs, et non des moindres (on lui doit notamment des topics fleuves sur l’optimisation des maps sous Half-Life), Lichen.

Map pour Warsow
Map pour Warsow

Q: Quel est l’évènement, le facteur qui a fait que tu t’es intéressé la première fois au modmaking ?

Lichen: J’ai découvert la création de cartes avec Half-Life. L’éditeur de niveau était fourni avec le jeu, et il n’y avait qu’une poignée de tutoriaux disponibles en anglais. J’étais assez curieux de découvrir comment un niveau pouvait se construire et ce qu’il était possible de réaliser.

Q: Comment as-tu rejoint la communauté HLD ? Par pur hasard ? Bouche à oreille ? Par son lien à Half-Life Fusion ?

Lichen: J’ai rejoint la communauté HLD par hasard, vraisemblablement en cherchant des tutoriaux sur Alta Vista. Peu de sites proposaient des tutoriaux en français.

Q: Releaser ses maps, comment ça s’est passé ? Gros coup de bourre sur la fin ? Ou bien tu n’en n’as aucune idée ?

Lichen: J’ai passé la majeure partie de mon temps à « bricoler » plutôt qu’à créer de véritables cartes. Je voulais avant tout comprendre comment l’outil et plus tard le moteur fonctionnaient.
J’ai travaillé de façon empirique, sur une même carte pendant plus de 6 mois, en améliorant la technique, en optimisant, en appliquant ce que j’apprenais dans les tutoriaux, à propos de la lumière, de la géométrie ou encore des entités.

Map de démo pour tutorial sur l'optim HL1
Map de démo pour tutorial sur l’optim HL1

Q: Pourquoi as-tu arrêté ton implication dans la communauté ?

Lichen: J’étais avant tout attiré par l’aspect technique du level design. Quand j’ai découvert ce qu’il était possible de faire avec le moteur et les outils de Quake 3, je me suis orienté vers ce moteur.
Entre temps j’avais appris à mieux comprendre l’anglais et j’ai découvert la communauté level design de Quake3world.com.

Q: Que penses-tu de l’état de la communauté francophone aujourd’hui ?

Lichen: Il me semble difficile de me prononcer sur l’état de la communauté francophone sachant que je ne m’y intéresse plus réellement depuis plusieurs années.
Mais quand j’ai commencé à abandonner Half-Life Design (à l’époque de la migration vers Game Lab il me semble), j’avais déjà l’impression de voir une sorte de déclin, comme si l’engouement pour le level design amateur n’était plus aussi important.
Durant l’année 2005, j’ai repris contact avec d’anciens level designers amateurs qui travaillaient depuis peu chez Arkane Studios.
Ils cherchaient à recruter des level designers avec une expérience amateur dans la communauté francophone et la tâche semblait très compliquée…
Avec du recul, j’ai l’impression qu’Half-Life et Half-Life Design ont joué un rôle très important dans la formation et la révélation de level designers talentueux au sein de la communauté francophone.
Je n’ai aucune statistiques à ce sujet mais il me semble que le nombre d’anciens membres d’HLD qui ont réussi à trouver une place dans l’industrie est assez impressionnant.
Il y a peut-être désormais autant ou même davantage de level designers amateurs francophones, mais j’ai l’impression qu’ils ne sont plus « concentrés » au sein d’une même communauté.
Peut-être parce qu’à l’époque d’HLD, il n’y avait pas beaucoup d’alternatives pour faire du level design amateur, peu de sites communautaires qui traitaient de ce sujet.
Peut-être que les compétences pour créer des cartes de qualité correcte étaient moins importantes que celles nécessaires aujourd’hui.

Q: Quelles étaient les erreurs communément commises à l’époque ? Notamment dans le fait que finalement peu de projets de mods ont vu le jour ? La manque d’expérience ? Le manque de release ? L’auto-discipline ?

Lichen: Les équipes étaient généralement composées de membres assez jeunes, parfois encore adolescents (c’était mon cas). Les amateurs étaient curieux, mais n’étaient pas forcément assez matures pour mener à terme un projet. Certains projets étaient beaucoup trop ambitieux, mal organisés, mal formalisés (pas de documentation, quelques concepts sur une page web ou un forum en guise de cahier des charges), composées de membres à la disponibilité plutôt assez aléatoire, sans gestion d’équipe. Un peu comme un exposé de collège à rendre, mais sans deadline, en télétravail, avec la possibilité de bosser en buvant du coca et en flânant sur IRC en même temps.
Beaucoup d’équipes manquaient de rigueur et bien entendu d’expérience. Pour beaucoup d’amateurs, Half-Life était leur première expérience en level design.

Q: Comment étaient accueillis les nouveaux ?

Lichen: La communauté HLD était très restreinte, peut-être une trentaine de personnes actives sur les forums (et encore), les nouveaux arrivaient progressivement et avaient le temps d’être intégrés.

Q: Qu’est ce que tu retiens de cette époque ?

Lichen: Plein de bonnes choses, c’est à cette époque que j’ai commencé à rêver de pouvoir un jour travailler dans l’industrie du jeu vidéo, j’ai découvert le concept des communautés et des forums sur Internet.
C’était une période très instructive, j’ai gagné en humilité en découvrant ce que les gens plus doués que moi étaient capables de réaliser.
C’était vraiment une époque très intéressante, le nombre de jeux disposant de communautés de modmaking était plus restreint, les communautés plus concentrées, plus soudées et moins volatiles.

Optimisation sous HL1
Optimisation sous HL1

Q: Comment êtes-vous rentrés dans l’industrie du jeu ?

Lichen: Durant mon cursus universitaire, j’avais un stage à effectuer dans une entreprise de mon choix. J’ai voulu allier l’utile à l’agréable en cherchant un stage dans une entreprise de jeux vidéo.
J’ai effectué un stage de deux mois en tant que community manager (chez Ankama ndt), durant lequel j’ai tout fait pour me rendre indispensable, je suis rapidement devenu l’intermédiaire entre les testeurs et les développeurs, en gérant les bases de données de bug tracking et en effectuant des travaux de synthèse. Cette expérience m’a appris à bien maîtriser le projet et la façon de travailler des différents intervenants. J’ai insisté pour effectuer d’autres stages, revenir travailler pendant les vacances, etc. De fil en aiguille, on m’a confié plus de responsabilités, j’ai commencé à corriger certains bugs et erreurs moi-même (tout en apprenant à manipuler les outils utilisés par l’équipe), des fautes d’orthographe jusqu’aux erreurs de saisie et de paramétrage. J’ai progressivement commencé à travailler sur des équilibrages pour le jeu et à améliorer ou proposer de nouvelles fonctionnalités. J’ai fini par obtenir un poste de game designer, puis de lead game designer après quelques années.

Dofus
Dofus (c) Ankama

Q: Que penses-tu de l’industrie du jeu ? Conforme à tes attentes ? En bien, en mal ? Est-ce que ça a été une rupture totale avec ce que tu en attendais ?

Lichen: Je rêvais de pouvoir un jour travailler dans l’industrie du jeu vidéo, mais je ne m’en croyais pas capable. Je n’étais pas très doué dans mes études, et ce milieu me semblait totalement inaccessible.
J’ai eu une occasion de prouver (et de me prouver) ce dont j’étais capable, j’ai tout fait pour réussir, j’étais passionné.
Je n’ai jusqu’à présent (6 ans) travaillé que pour une seule entreprise, je ne peux donc pas facilement avoir un avis pertinent sur l’ensemble de l’industrie.
J’ai cependant l’impression que c’est un milieu très jeune, une industrie qui progresse peu (ou n’importe comment parfois), mal rodée, qui se cherche, composée de beaucoup trop de rêveurs (même s’il en faut !), qui n’a pas encore assez de seniors et de sages, une industrie qui manque d’expérience et de cas d’école. J’ai l’impression que les entreprises qui fonctionnent bien, sont solides et avancent en capitalisant sur leurs expériences, sont encore beaucoup trop rares, beaucoup plus rares que dans les autres industries. C’est une industrie qui me semble également peu ouverte aux autres domaines de compétence.
On commence seulement depuis quelques années à voir des entreprises de jeu vidéo qui s’ouvrent activement à d’autres disciplines et qui réalisent l’importance d’avoir en leur sein des spécialistes provenant d’autres industries ou domaines qui ont déjà fait leurs preuves sur le long terme (design, architecture, économie, statistiques, sociologie etc.).
L’industrie du jeu vidéo doit comprendre pour évoluer, que faire du jeu vidéo ça n’est pas juste chercher, dessiner, programmer, animer, composer ou encore écrire. Elle doit profiter de toutes les compétences pointues qui nous aident à construire et comprendre notre quotidien pour avancer elle-même.
Aujourd’hui, les entreprises qui progressent le plus (dans la façon de construire et améliorer leurs jeux) sont celles qui semblent avoir compris cela (CCP et Valve par exemple qui n’hésitent pas à aller chercher les compétences pointures dans d’autres domaines).

Q: Qu’as-tu appris en amateur qui te sert encore aujourd’hui dans ton boulot ?

Lichen: J’ai appris la difficulté qu’il y a de mener à terme un projet, la difficulté d’organiser le travail des participants autour d’une seule vision cohérente.
J’ai appris qu’il fallait laisser le temps aux gens d’apprendre, que la passion permettait de déplacer des montagnes, qu’il fallait savoir être modeste et raisonnable.
J’ai appris qu’il existait autant de façons de réussir un projet que de le faire échouer. J’ai appris qu’un projet c’est généralement une équipe, et qu’à partir de ce constat, la gestion d’équipe est primordiale dans la réussite d’un projet. Si votre équipe fonctionne mal, le projet ne pourra pas arriver à terme, même avec une équipe très qualifiée et de très bons concepts. Bref je n’ai appris que des banalités que l’on oublie d’apprendre et que l’on arrive pas forcément à faire comprendre sur les bancs des amphithéâtres. C’est à ça que servent les stages et le modmaking !

Q: Est-ce plus compliqué d’attaquer un mod aujourd’hui ?

Lichen: Bonne question ! J’ai l’impression que certains outils se sont considérablement améliorés, mais que les jeux étant devenus globalement plus complexes et plus riches, ils nécessitent peut-être plus de compétences et d’investissement.
La création de mods complets (changements au niveau du gameplay, de l’univers graphique etc.) me semble beaucoup plus difficile, car les « assets » graphiques nécessitent généralement un bon niveau de compétence pour être créées de zéro.
A l’époque d’Half-Life, on pouvait créer une texture de carrelage viable en quelques clics sous Paint Shop Pro en freeware, 15 minutes après l’avoir installé pour la première fois et tout en lisant un tutorial de 10 lignes.
Aujourd’hui pour créer des « assets » graphiques convaincantes, il faut à priori plus d’expérience et de compétences.
Le level design d’aujourd’hui nécessite également de savoir utiliser plusieurs outils dont certains sont destinés uniquement à un usage professionnel.
Sur Half-Life 1, toute la géométrie des cartes pouvait se faire sans réelles limitations ou contraintes depuis un éditeur de niveau relativement simple.
Aujourd’hui, les éditeurs de niveau servent de plus en plus à paramétrer les entités, les scripts, définir la géométrie globale et enfin composer les niveaux avec des éléments modélisés dans des outils dédiés à la modélisation 3d (3DS Max, Maya etc.). Maîtriser plusieurs outils est plus contraignant lorsque l’on est amateur et surtout c’est beaucoup plus décourageant.
Paradoxalement, les éditeurs de niveau se sont considérablement améliorés (ergonomie, compilation et test du niveau depuis l’éditeur, gestion des shaders et scripts moins barbare, etc.), et lorsque l’on accepte de réutiliser les assets graphiques fournies par le jeu, la conception de cartes peut devenir très accessible.

Q: Si tu devais donner un conseil à tous ceux qui souhaitent faire du jeu vidéo leur métier, que leur dirais-tu ?

Lichen: Créez des mods ! J’ai croisé des dizaines de personnes qui participaient à des forums amateurs de création de mods et qui sont entrées dans l’industrie grâce à cela.
Des levels designers qui ont été embauchés chez Arkane Studios, Raven ou encore Crytek. Je me souviens encore d’un level designer qui présentait ses cartes d’un projet à l’époque nommé « X-isle » sur les forums de quake3world dans le sujet « Montrez vos screens ». Quelques années plus tard, X-isle était devenu Far Cry. Je me souviens d’un level designer amateur au style très caractéristique, parti travailler chez Raven et dont j’ai reconnu le style graphique et architectural de ses propres cartes en jouant à Jedi Knight Outcast.
Bioware recrute chaque année sur concours, à partir des meilleures créations d’amateurs qui utilisent les outils fournis avec les jeux Bioware.
Les projets que vous pouvez créer à partir des outils utilisés (ou connus) par vos éventuels futurs recruteurs, constituent les meilleures preuves de votre talent.
Participer à l’élaboration d’un mod c’est également une bonne occasion de tester sa motivation pour rentrer dans l’industrie du jeu vidéo.

Merci pour le temps que tu m’as consacré !

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