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Les papys du modmaking francophone (Partie VI-3)

Précedemment : HL Invasion, partie 2

Suite et fin de l’interview. On parle de des leçons tirées du modmaking et de l’industrie du jeu, et du bon vieux temps !

Half-Life Invasion
Half-Life Invasion

Q: Qu’est ce que vous attendiez de l’industrie avant d’entrer dans le jeu vidéo ? Avez-vous eu des désillusions ? Est-ce que ça a été conforme à vos attentes ?

Julien: Ce qui me plaisait dans cet aspect-là de l’informatique c’était vraiment le côté artisanal… C’est l’idée de suivre son produit d’un bout à l’autre, avec justement la pré-prod et le support utilisateur à la fin, voire même les réactions des gens c’est encore mieux. C’est pour moi ça qui différencie un truc que tu fais en SSII, pour une banque obscure dont tu n’entendras plus jamais parler parce que tu auras été affecté sur autre chose après; et puis un produit que tu sors, qui a ton nom dessus, et lorsqu’il y a un problème avec, les gens se tournent vers toi. C’est un peu l’aspect « c’est MON truc ». Ça, c’est ce qui me plaisait beaucoup depuis cette époque-là, justement, car on avait touché à tout à ce moment là. Et cet esprit-là, je l’ai retrouvé parce que j’ai toujours accepté des boulots dans de petites boites depuis que je travaille.

Q: Parce que tu t’es dit que sur une boite un peu plus grosse, à 150 ou 200 personnes, ça ne te conviendrait pas ?

Julien: Sans tomber dans les trucs un peu tout noir ou tout blanc, je trouve ça en effet plutôt impersonnel. Et toujours comme nous faisions tout nous-même à l’époque, l’envie d’intégrer une petite structure, c’était justement pour pouvoir suivre un peu, même si tu ne fais pas tout toi-même, ce qui se fait à côté. Aujourd’hui si je tourne la tête, j’ai l’écran d’un graphiste devant les yeux et je le vois en train d’animer son truc, ou de modéliser une bé-bète. Quand un perso apparait à l’écran, il ne sort pas de nulle part, tu l’as vu se faire fabriquer, tu l’as vu arriver jusqu’à toi, au moment où toi tu le rends à l’écran. Donc cet aspect « suivi » sur toute la chaine c’est quelque chose dont j’avais besoin. Effectivement quand j’ai abordé l’industrie, ça faisait partie des pré-requis que je recherchais. Et j’ai réussi à les trouver dans les structures dans lesquelles je suis passé. Il n’y a pas eu de désillusions comme ça, c’était plutôt des bonnes surprises au final, dans le sens où c’est quand même un milieu qu’on voit très stéréotypé. Le jeu vidéo, j’avais un peu peur de ce que ça pouvait donner. Au final j’ai été assez agréablement surpris des gens que j’ai rencontré là-dedans. J’ai rencontré énormément de gens formidables qui m’ont beaucoup aidé à faire des choix et à progresser. Ce que j’ai découvert sur place, c’est le contact humain dans cette industrie-là, qui est toute petite, c’est vraiment un petit village.

Q: Franchement tout le monde se connait. Tu passes un ou deux ans dedans, et tu connais tout le monde.

Julien: Exactement. Et ce côté-là, ça m’a vraiment conquis. Les pots qu’on fait chez nous, prendre une bière avec d’autres boites, ça se fait de temps en temps, tu ne vois jamais les mêmes, ça circule, ça cause, ça potine. Ça m’a vraiment séduit et je ne m’y attendais pas beaucoup. Au niveau du boulot, c’est le côté « multi casquettes » que tu peux avoir, d’un point de vue développement, dans le déroulement d’un projet qui m’a vraiment plu. Je me doutais que ça allait être comme ça, et j’ai vraiment trouvé ce que je recherchais. Au final, j’ai envie d’être là pour l’instant. Je n’ai aucune idée si je bosserai toujours là-dedans dans 10 ans, mais pour l’instant je m’amuse, et ça me convient.

Q: Et toi Yagéro?

Yagéro: Moi aussi c’est le côté artisanal qui me plaisait…

Les locaux du GEEA, la cellule R&D dUbisoft
Les locaux du GEEA, la cellule R&D d'Ubisoft

Q: Pourtant tu es dans une grosse structure ?!

Yagéro: Alors oui, justement !

Julien: Mais il y fait de la R&D.

Yagéro: Voilà. Donc du coup c’est pas forcément une grosse structure. J’avais travaillé un peu chez Kando, j’avais trouvé ça cool, parce qu’on était vraiment une petite équipe. On était une dizaine, la moitié des stagiaires, normal pour une petite boite…

Julien: Tu as même été lead programmeur à l’époque !

Yagéro: Il y a un moment où j’étais lead programmeur ! Parce que l’autre lead prog s’est barré chez Ubisoft. Il y est toujours d’ailleurs. Et à un moment j’étais quasiment le seul programmeur dans la boite.

Julien: En tant que stagiaire…

Yagéro: J’étais en CDD ! C’était pas un stage, car ça n’était pas rattaché à l’école. C’était pendant ma première année d’école d’ingénieur, il n’y avait pas de stage, et du coup j’avais postulé pour travailler durant l’été. Et j’avais trouvé ça et j’étais super content, et d’ailleurs ça m’a beaucoup apporté, c’était la première fois que je travaillais dans une boite de jeu. Après avoir fait du modmaking, de la programmation chez soi, fait un petit moteur 3D etc. Je voulais voir ce que c’était dans une boite. Et après, pour travailler chez Ubisoft, j’ai eu la chance d’avoir le choix entre travailler en studio de production ou dans une petite équipe de R&D. Et j’ai tout de suite choisi la R&D car c’est là où chacun fait son petit proto ou presque. Donc du coup c’est un peu touche-à-tout, et j’avais envie de retrouver ça. Ce qui m’avait plu dans Invasion, on avait un truc à faire, et on faisait tout: le graphisme, l’animation… Même si c’était dégueulasse, on faisait tout et c’était cool. Je n’avais pas envie de faire du travail à la chaine. Et je pense que j’aurais sans doute à travailler en prod, au final.

Q: Tu as déjà été détaché en studio de production ?

Yagéro: Non. Ça fait un an que j’y suis, je n’ai pas encore travaillé en prod, et ça me fait un peu peur. Je n’ai pas envie de me retrouver à programmer juste des caméras. Je pense que j’aurais préféré être plus vieux et travailler dans l’industrie quelques années avant, où c’était plus roots, garage. D’un autre côté, j’ai envie de voir ce que c’est la prod dans une grosse boite, travailler sur des gros moteurs, des gros projets avec plein de monde, ça peut être super intéressant. Mais je pense qu’au final, ce que je préfère, c’est le côté mod, travailler dans ton garage. Et je pense que j’aurais préféré être plus vieux. Je me le dis souvent ça ! (rires)

Julien: Même aujourd’hui, je pense que tu peux trouver la taille d’équipe qui te convient, quelque soit la taille que t’as en tête, tu as toujours une boite qui va bien. Par contre, le jeu qui en sort n’a pas forcément la même exposition.

Yagéro: Mais faire un jeu qui cartonne à 3 dans ton garage, c’est de moins en moins possible. Tout comme l’accessibilité pour faire des mods, c’est de plus en plus difficile. C’était réalisable sur HL, ça l’était également avant mais nous n’avons pas connu cette époque car nous étions trop jeunes, et je pense que maintenant, faire un mod à 2 sans organisation, ce n’est plus envisageable. Générer des ressources au niveau graphique, et pour tout le reste, sur HL2 et sur les futurs moteurs, c’est très complexe.

Julien: Je me souviens d’une réflexion qu’on s’était fait à la sortie d’HL2: « putain pour faire des mods maintenant, va falloir être bon »

Yagéro: Avant on torchait un model d’arme ou de perso en un rien de temps, c’était dégueulasse on s’en foutait. Maintenant je pense que c’est totalement impossible. Peut-être que je regrette un peu ça et c’est pour ça que j’aurais préféré être un peu plus vieux (rires).

Q: La cellule R&D d’Ubisoft reçoit des versions de projets en cours des différents studios, et pourtant tu trouves le moyen de changer des trucs sur ces grosses bases de code ?

Yagéro: Il y a plusieurs missions dans le pôle R&D. Il y a les missions proto sur des technologies innovantes, genre Kinect. Là c’est une personne qui fait un proto. Et là du coup tu touches à tout, ça revient à faire un mod seul dans ton coin, sauf que t’as l’aide de ton équipe quand tu le demandes. Et il y a le support 3C. (Camera/Controls/Character ,NDT) Donc on reçoit des versions de jeu comme Far Cry, etc. Les gros moteurs, les trucs horribles (rires) des studios et des 3rd parties, et tu vas taper dedans et essayer d’améliorer les 3C. On a une bonne expertise là-dedans. Et ça me plait énormément.

Q: Parce que tu as la possibilité de changer les choses juste à ton niveau ?

Yagéro: Oui, et comme je suis détaché de la production, je n’ai pas l’impression de faire du travail à la chaîne.

Q: Est-ce que vous arrivez encore à trouver le temps chez vous pour bosser sur des projets persos ?

Julien: Le temps oui. L’envie non. Justement avant c’était un hobby. Donc tu faisais des trucs la journée, et tu te détendais avec ça le soir. Maintenant, je fais ça toute la journée, je m’amuse, il n’y a pas à dire je m’amuse. Mais le soir j’ai envie de me changer les idées. Donc je suis les actualités, je suis ce qu’il se fait ailleurs, je joue très peu…

Q: Tu joues à des mods encore aujourd’hui ?

Julien: Non. Même les jeux en général je n’y consacre que peu de temps. Mais au final comme c’est désormais mon activité principale, j’ai changé mes activités secondaires pour faire autre chose.

Yagéro: Moi c’est un peu pareil. A l’époque collège/lycée, on faisait des trucs un peu chiant, disons, à l’école. On se détendait à la maison en faisant des mods. A partir du DUT j’ai fait des trucs qui me plaisaient beaucoup à l’école, du coup j’avais moins de temps chez moi. J’essaie quand même de trouver un peu de temps pour faire des projets personnels. J’essaie de trouver, disons, des plateformes sur lesquelles j’ai le temps de faire des projets pas trop gros. J’ai essayé de faire un petit jeu sur Nintendo DS, là j’essaie de faire un petit truc sur iPhone. Voilà, des trucs faisables pour une personne, avec son temps libre. Mais je ne me verrai pas non plus faire un projet de mod. Pareil, je n’ai pas le temps de jouer à des mods, pourtant je me dis parfois, à l’époque d’HL1, j’étais bien content qu’il y ait des gens pour tester nos mods et nous envoyer des retours. Et là je vois qu’il y a des mods super sur HL2 faits aussi par des petites équipes… Et je me dis « putain, faudrait que je les teste ! » Mais je n’ai ni le temps, ni la motivation… J’essaie également de suivre le jeu indépendant, avec Steam en plus ils ont une visibilité sympa.

Julien: En même temps je ne vis pas ça comme un manque. J’ai pas mal de choses à faire en journée, le soir aussi. C’est simplement le facteur de plus tu passes de temps à bosser dans cette industrie-là, plus tu découvres de choses intéressantes à droite, à gauche, que tu aurais envie de creuser, alors qu’avant tu étais un peu plus concentré sur un domaine particulier. Là tu vois plein d’horizons à explorer alors que tu sais que tu n’auras pas la motivation de t’y consacrer, et c’est ce côté frustrant là. Mais parallèlement à ça, tu fais en tant que professionnel beaucoup plus de choses que tu en faisais en amateur, ça il n’y a pas de doute. C’est plus enrichissant et il n’y a pas de regrets vis-à-vis de ça.

Q: Quand on fait des mods, on apprend des choses et on généralement a envie de les restituer sur les forums etc. Est-ce que vous avez partagé cette philosophie ?

Yagéro: Je ne me rappelle pas avoir servi la communauté. Je trouve ça dommage, mais en même temps je n’avais pas un accès régulier à Internet.

Julien: En termes de transmission de connaissances, une des premières choses qu’on avait fait quand on commençait à maitriser Internet et savoir utiliser Worldcraft, c’était de mettre au point un petit site avec des tutoriels… Que personne n’aura lu bien sûr (rires). On en avait mis 2 ou 3…

Yagéro: Le premier site que j’avais créé s’appelait HLmodsperso.free.fr. Et on publiait des tutos, et au final, je ne sais même pas si on l’avait posté sur HLD ou un autre site…

Julien: Et c’est comme ça qu’on a trouvé DXM ! (pour rappel, DXM avait donné un coup de main au duo à la fin du développement d’HL Invasion -NDT)

Yagéro: C’était à l’époque où on faisait dans nos coins nos petits mods. On publiait des trucs basiques. Je me rappelle à une époque, tu m’avais envoyé 4 ou 5 tutos à la suite !

Julien: C’était des traductions de l’aide en anglais de Worldcraft. Mais ça n’allait pas bien loin. Au début quand on apprenait on avait aussi envie de restituer. Mais après on est partis sur le mod, et puis ca faisait vraiment doublon avec HL Design, il y avait déjà tout là-bas.

Yagéro: Je me rappelle avoir assez fréquenté les forums d’HL Design, il y avait une bonne ambiance, je suivais les mods qui ne sont jamais sortis, genre HL Runaway. Je me rappelle surtout de Nuclear Target, avec Cyric, l’admin d’HL Fusion. Egalement de Panique à Black Mesa, avec Firestorm, qui codait comme un dieu ! (rires) Il avait codé des trucs de fou quand même… Les miroirs !

Julien: Il avait une bannière qui faisait peur et il savait programmer. L’homme accompli. J’aimerai beaucoup le rencontrer !

Un WIP du mod Nuclear Target
Un WIP du mod Nuclear Target

Ainsi s’achève cette interview. Je tiens à remercier Julien et Yannick pour m’avoir accordé pas mal de leur temps avant, pendant et après l’entretien. Bonne route à vous deux !

5 réponses sur « Les papys du modmaking francophone (Partie VI-3) »

Super intéressant 🙂

Ça m’a fait marrer qu’il parle d’HL runaway, je pensais que personne connaissait … J’ai réinstallé la seule alpha qu’on ait sorti à l’époque par nostalgie mais j’ai droit à « could not load library k:\jeux\steam\hl\cd_dlls\client.dll » :

La vie est trop cruelle. Merci pour l’interview !

SethDeNod a dit :
C’est toujours sympa de voir que même des programmeurs jeunes ne jouent plus aux jeux…

L’un n’a plus la motivation de jouer, le deuxième pense qu’il est impossible de développer un hit à 3 dans un garage (à l’heure des Smartphones et autres XBLA/PSN/Steam, faut oser). Aucun doute, Ubisoft est passé par là.

C’est bien ce qui me semblait, DrLoser, je les trouve bien pessimistes.

Sinon c’était intéressant, même si c’est un mod auquel je n’ai jamais joué, ça nous rappelle toute une époque, une riche époque.

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