
Call of Duty Modern Warfare 2 est peut-être rempli de failles, il n’empêche que ses maps multijoueurs sont parmis les plus réussies que j’ai pu voir jusqu’ici. (Ok, peut-être pas Estate en fait). Aujourd’hui, on va étudier comment Favela a été conçue, et plus précisément ce qui a été fait pour équilibrer la map. Je voudrais préciser un truc avant de démarrer : Cet article se base sur mes propres suppositions. Donc ça ne sera probablement pas très véridique par rapport au véritable processus qu’Infinity Ward a établit pour ce niveau. Mais bon, l’exercice n’en reste pas moins intéressant. Nous verrons plus tard que la topologie du niveau porte en elle un historique conséquent, et il est faisable de voir ce qui a pu changer itération après itération. C’est parti !
High Concept

Quels sont les 3 mots qui vous viennent lorsque je vous dis « Favela » ? La toute première étape est de rassembler de bonnes photos des vrais endroits où se trouvent ces bidonvilles. A partir de ces photos, on peut en extraire des mots-clés qui vont définir le gameplay global du niveau. Voici quelques photos de favelas que l’on peut rencontrer à Rio, au Brésil :

Que pensez-vous des mots-clés suivants : Verticalité, Confiné and Gruyère ?

Première ébauche
Commençons par ici. La contrainte de gameplay majeure que chaque map de Call of Duty doit gérer est leur aptitude à gérer tous les modes de jeux à objectif sans en altérer la géométrie. Ce qui veut dire que chaque map doit être potable pour de la Domination, du Capture the Flag, du Search & Destroy et du Headquarters. (les objectifs des modes Demolition et Sabotages se trouvent aux mêmes endroits que ceux du S&D).
On va partir sur les règles de level design portées par les modes Domination et CTF. Elles vont définir la topologie basique du niveau.
Mode Domination :
- 3 drapeaux à capturer et à tenir
- 1 drapeau sur chaque base
- 1 drapeau au milieu, atteignable en même temps par les deux équipes au démarrage de la partie
- Le drapeau au milieu est le plus difficile à capturer ou à défendre
Mode Capture the flag :
- 1 drapeau à capturer, 1 autre à défendre
- La topologie est « base de l’équipe – route – milieu – route – base ennemie »
- Il y a moins de 3 routes principales pour arriver au milieu de la map
- Ce sont les chemins les plus courts pour arriver au milieu
- Ce sont les chemins les plus exposés aux tirs ennemis
- Il y a quelques routes secondaires
- Elles sont plus à l’abri de tirs ennemis
- Elles sont plus longues que les routes principales
Ok, ça cadre pas mal. On peut utiliser les règles du S&D pour réduire encore un peu plus les zones d’incertitudes:
Mode Search and Destroy :
- On peut utiliser les règles du mode de jeu defuse de Counter-Strike
- 1 objectif parmi 2 à choisir
- L’un deux est très proche de l’équipe qui défend
- L’autre est à mi-distance des deux points de départ
- 2 routes principales
- Plusieurs routes secondaires
- Elles héritent toutes des propriétés que l’on a vues pour le mode CTF (longueur et exposition)
Jetons à nouveau un coup d’oeil à nos trois mots-clés et essayons de les convertir en briques de level design :
Verticalité: Le niveau a besoin d’avoir de la variation en hauteur. Il doit être construit en pente, mais nous devons faire attention à éviter les pentes trop relevées (ca flingue le champ de vision), ou bien de donner un avantage trop significatif à l’équipe en hauteur (même si les camps sont inversés en cours de partie).
Confiné: Le niveau doit avoir des routes très étroites avec de grand bâtiments sur les côtés. On doit également faire attention car ça peut flinguer la navigation du joueur (lorsque 2 joueurs dans un même couloir se gênent parce qu’il n’est pas assez large) et d’autre part, ça empêche les combats d’être intéressants : un joueur aura plus de mal à éviter les projectiles ennemis.
Gruyère: Le niveau doit être criblé d’ouverture en tous genre : fenètres, portes, toits ajourés, trappes… Ici, l’astuce est d’empêcher la map de devenir trop complexe en ajoutant des pelletées de trous partout. En effet, ça empêche les joueurs de mémoriser facilement les chemins vers les objectifs. A nouveau, il va falloir faire gaffe.
Avec toutes ces infos, on peut démarrer la construction du premier draft, ou ébauche, qui est en phase avec nos trois mots-clés.
Première étape, les bases et le mid que l’on extraie du layout final :

Vu la topologie finale, on peut facilement déduire l’emplacement de ces points clés. Mais c’est surtout l’historique du niveau qui est visible ici et qui nous permet de placer ces points. Sa largeur est plus grande que sa hauteur, alors naturellement, les points A, B et C se placent par rapport à une ligne virtuelle horizontale au milieu du niveau. A et C se placent à chaque extrémité, et le B va à l’endroit le plus large, c’est à dire le terrain de football.



A partir de cela, on peut désormais extrapoler sur la verticalité. L’une des base va devoir être plus haute que l’autre. Il est facile, en regardant le plan 2D, de déterminer de quelle base il s’agit. En fait, je ne pense pas que c’eut été l’inverse durant le développement du niveau. C aurait très bien pu se retrouver le plus haut au tout début, mais il est bien plus dur de refaire complètement le niveau et changer sa topologie pour rendre C plus haut que A, alors que l’on peut simplement effectuer une opération de type miroir. Quant à la pente Nord/Sud qui aurait pu être Sud/Nord, je pense que c’est le même raisonnement qui a conduit à cela.


Avant de commencer à creuser, quelques conventions. B est équivalent au milieu. Egalement appelé Middle. Les attaquants viennent de la zone A, les défenseurs viennent de C.
Premiers Problèmes
Ok, on voit clairement qu’il y a un problème avec les routes et le middle. Il est trop proche du spawn C. Ailleurs, la route principale au nord ne rejoint pas directement le middle. Le middle est probablement mal placé. C’est dommage, car il remplissait pas mal de contraintes : open space, difficile à capturer ou à défendre, et il agit comme point de jonction pour les routes. En parlant des routes, les deux du nord ne se rejoignent pas exactement au middle; c’est un problème que nous verrons plus tard.
Déplaçons un peu le middle vers le spawn A, pile là où les routes secondaires se rejoignent. C’est un transgression intéressante des règles originales du CTF, mais bon, on peut toujours péter les règles si l’on sait ce que l’on fait…C’est à dire qu’on doit d’abord les comprendre. Alors oui le drapeau B va être difficile à défendre entre ces couloirs. Ca va certainement finir en pluie de grenades. On va devoir ajouter de la profondeur pour rendre le tout intéressant. En plus, ces routes secondaires deviennent les moyens principaux d’atteindre B.

Il y a un gros problème pour l’équipe qui défend avec ces 2 chemins pour rejoindre le middle. Ils sont trop court, ce qui veut dire que l’on ne peut pas avoir une bonne ligne de visée du chemin que l’ennemi emprunte pour arriver en B.



Ouvrir la partie basse avec une porte et des escaliers réussit à donner plus de contrôle pour l’équipe C pour la défense ou l’attaque de l’objectif. A partir de la fenêtre, un joueur peut gérer les types qui viennent de la rue étroite et de la porte à côté.

Mais peut-être que ce réglage est un peu too much. Car à partir de la fenêtre, on a un avantage clair sur nos adversaires, et puisqu’ils apparaissent droit devant nous, s’en débarrasser est facile (avec les flashbangs plus le semi-cover qu’offre le montant de la fenêtre).


Pour équilibrer tout ça, ajoutons des routes secondaires et des ouvertures, placées spécifiquement pour forcer le type qui campe à la fenêtre à faire des mouvements de souris plus amples pour viser ses adversaires. La première chose que j’aurais faite, est de placer une entrée ici, à l’avantage de l’équipe attaquante :

Mais IW l’a fait de cette manière :

Pourquoi ? Simplement parce qu’il n’y avait plus aucun intérêt à prendre le chemin original. Désormais, les attaquants auront clairement tendance à utiliser le nouveau chemin, et les adversaires ne sauront pas d’où vont pouvoir sortir leurs ennemis. Cela force également le teamplay puisque l’équipe attaquant va devoir jeter une flash pour pouvoir atteindre la porte sur le côté. Mais maintenant les défenseurs peuvent savoir exactement d’où les attaquants peuvent apparaître (et c’est très mal !). Il est temps d’ajouter à nouveau un peu de profondeur en laissant les attaquants atteindre l’étage supérieur et avoir une ligne de tir sur le tireur de la fenêtre.


Ca a l’air bien. La terrasse est aussi exposée à l’un des chemins qui mène en B ce qui est une bonne chose pour empêcher l’endroit de devenir un coin à campe. Et pourtant il peut le devenir puisque la fenêtre et le chemin sont grosso modo dans le même angle de tir, ce qui est mal. On va voir comment équiliber ça.
La façon la plus simple est de carrément laisser les joueurs marcher sur les toits. A première vue ça parait super dangereux car se situer en hauteur donne généralement droit à une supériorité tactique (on peut voir et suivre son ennemi plus facilement). En donnant deux accès opposés, on fait en sorte que la terrasse ne soit plus toute puissante.

De plus, tout cela rend le point B encore plus dangereux. Désormais, l’équipe attaquante va devoir surveiller pas moins de 6 points, répartis sur 360 degrés ! (la terrasse, les 2 toits, les 2 chemins et la fenêtre). Alors peut-être qu’il va falloir ajouter quelques covers et même des ruses sales pour faciliter le processus de capture. C’est là qu’on rentre dans le micro-tuning. Les images suivantes sont suffisamment explicites :





C’est fini pour l’instant.
La suite
Je ne pensais pas que cet article serait si long à écrire. Dans la partie 2, on décortiquera un peu plus Favela, notamment pour le CTF et le Search & Destroy. On regardera aussi les routes principales. Ca devrait être prêt pour la fin de la semaine, mais à l’heure où j’écris ces lignes, ça me parait mal barré !
Si jamais vous vous intéressez au LD, essayez de faire un exercice similaire. C’est extrêmement formateur.
Vous pouvez poster des commentaires ici