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Le Rational Level Design, mon meilleur ennemi

Le Rational Level Design (RLD) et moi, c’est une vieille histoire d’amour ET de haine qui a débutée en 2006 chez Ubisoft. A l’époque, je pensais naïvement que ça crèverait les tripes à l’air bien vite. La réalité fut toute autre. Comme tôt ou tard vous allez vous en manger dans la gueule, autant crever l’abcès dès aujourd’hui, ça vous évitera de vous faire rouler dans la farine par votre futur producer ! (Toute ressemblance avec des évènements qui pourraient m’être arrivés serait, mais alors totalement, fortuite).

Vous y avez tous cru hein ?
Vous y avez tous cru hein ?

Qu’est-ce que le RLD ?

Le Rational Level Design est une technique qui permet d’équilibrer les challenges que le joueur rencontre au fil du jeu. Le RLD identifie les paramètres de difficulté sur chacun des éléments de gameplay, et permet de créer des courbes de difficulté en variant ces paramètres. Ces courbes sont ensuite utilisées comme guide lors de l’équilibrage des challenges tout au long du jeu.

Un exemple simple: Si un personnage a une distance de saut maximale de 100 unités, deux plateformes séparées de 50 unités seront plus faciles à franchir que si elles étaient séparées de 95.

Dans la pratique, vu la difficulté du triple A moyen, on se demande bien à quoi ça sert !

D’où vient le RLD ?

Il me semble que ça a été inventé par Lionel Raynaud et son équipe de stag de l’éditorial d’Ubisoft et mis en pratique pour la première fois sur Ghost Recon Advanced Warfighter en 2005. Il s’est ensuite propagé un peu partout dans le monde, essentiellement par les anciens employés d’Ubi à Montréal (dont le turnover massif, typique de l’industrie québécoise, a rendu possible).

Quel est le problème avec le RLD ?

A l’époque il faut admettre que sans passion pour les tableaux Excel imbitables, point de salut. Cette présentation austère, combinée à une méthode qui n’a pas encore été prouvée, imposée par un des organes d’Ubisoft à la réputation houleuse, a rendu très difficile son acceptation par les équipes de production. En fait, tout le monde l’a haï d’entrée de jeu, sans même tenter de comprendre ses rouages. On l’a accusé de transformer le gameplay en équations, de tuer la création artistique etc. Je ne vous raconte même pas la mascarade que c’était quand l’édito envoyait des juniors pour faire appliquer le RLD à des papys de la prod partout dans le monde.

Pourtant, sous son vernis disgracieux, le RLD cache une méthodologie intéressante, à condition de bien connaitre son champ d’application.

Quel est le SECOND problème avec le RLD ??

Ben c’est toujours la même personne qui en parle publiquement. Sur Gamasutra, Luke McMillan nous prouve qu’il a décidément bien trop de temps à perdre en pondant non pas deux ni trois ni quatre, mais cinq (5 !!) pavés sur le sujet. Une rapide vérification sur son parcours montre clairement qu’il dispose d’une forte expérience en production de jeu vidéo à hauteur de ZERO PUTAIN D’ANNÉES.

Résultat, bien que ses introductions soient relativement bien formulées, on rentre très vite dans la vaporisation de coléoptère par la teub lorsqu’il sort les logarithmes népériens pour ses calculs régressifs, dont les résultats n’ont jamais été validés en prod.

Faire son RLD pépère pour un challenge donné

Plutôt que de m’épancher avec des tests de régression impinables qui ne servent à personne, voilà quelques étapes simples pour établir votre RLD par ingrédient de jeu :

  • Prenez un de vos éléments de gameplay (ex : le Shoot dans un TPS à la con)
  • Identifiez son facteur majeur de difficulté (ex : la Visée)
  • Identifiez les variateurs de ce facteur (ex : la répartition des ennemis dans l’espace)
Exemple de map de test avec les variateurs identifiés
Exemple différent de map de test avec les variateurs identifiés. Un ennemi effectue une patrouille entre deux points distants de Y unités, marque une pause de Z secondes à chaque extrémité. Le joueur doit parcourir X unités. Connaissant les vitesses (ennemi et joueur), combien de temps va mettre le joueur pour atteindre son but ?
  • Trouvez les minimums et maximum de difficulté de l’élément choisi (ex : Min : un ennemi statique; Max : un ennemi qui se téléporte de X mètres toutes les Y secondes)
    • Protip : utilisez les metrics déjà établis pour ne pas partir à vide
    • Ex : regardez quelles sont les vitesses et accélération Horiz/Vert de la visée (gamepad par ex)
    • Prenez en compte les assistances à la visée s’il y a lieu (distance avant snap, vitesse horizontale de l’ennemi avant décrochage… Demandez à votre GPP)
  • Identifiez les espaces de jeu intéressants.
    • Protip : ça ne se fait pas au pif. Créez donc une map et testez vous-même les différents cas de figure.
    • Points Bonus si vous lissez vos mesures avec des playtests.
  • Compilez vos mesures dans un tableau
  • Déduisez-en une courbe approximative.

Cette courbe vous servira de référence pour un challenge donné. Répétez l’opération pour tous vos challenges.

Exemple de courbe de dificulté
Exemple de courbe de difficulté: plus le joueur met de temps à atteindre le but, plus c'est difficile.

Une fois que vous avez toutes vos courbes, vous pouvez les tronçonner verticalement en fonction du nombre de niveaux (ou du temps) de votre jeu, puis vous les donnerez aux level designers. Chacun sera alors responsable de respecter la valeur de difficulté moyenne dans leurs situations de jeu.

Comment ça se passe si je combine 2 challenges (ou plus) ?

  • Dans la plupart des cas il suffit de décomposer en éléments simples et multiplier les 2 facteurs de difficulté obtenus. (Ex : plateforme + ennemi mobile à la Super Mario)
  • Dans d’autres cas, il vaut mieux le considérer comme un seul challenge, trouver le facteur majeur, et re-décliner. (Ex : conduite + shoot à la GTA)

Comment ça se passe quand j’ai deux playstyles dans mon jeu (Ex : combat + infiltration) ?

  • RLDisez l’un puis l’autre. Lissez celui dont la difficulté est la plus proche de celle désirée.
  • Pour le reste il y aura des compromis à faire sur l’un ou sur l’autre. Faites preuve de bon sens quand vous devrez choisir qui sacrifier.

Notes de fin

  • Le RLD peut se permettre d’intervenir tard dans la prod. Il faut en effet que la plupart des metrics (longueur de saut, etc) soient verrouillées ce qui arrive généralement lorsque l’on termine la Vertical Slice.
  • Le RLD n’est pas un outil magique. Si votre jeu est naze il ne va pas le rendre génial.
  • Le RLD ne doit pas venir changer des situations de jeu qui sont mortelles mais dures. Il n’y a AUCUN mal à avoir des pics de difficulté de temps à autre.
  • Le RLD ne dicte pas ce que le joueur peut ou doit faire (N’est-ce pas Alexis ?)
  • Et le RLD n’est pas là non plus pour donner, par exemple des bagnoles de merde au début des jeux de caisse. Ne rendez pas votre jeu boiteux parce que ca vous fait une meilleure courbe de progression !

Je vais pomper Raph Koster pour conclure sur le bien-fondé de rationaliser nos façons de créer des jeux :

“If you’re scared that learning how to run a spreadsheet of your difficulty curve is going to make your work soulless, maybe it didn’t have a very strong soul to begin with. Learn how to do it, and then feel free to ignore what it says, as a conscious artistic choice. Accept the possibility that just maybe, the tools might actually propel you to greater artistic heights.”

14 réponses sur « Le Rational Level Design, mon meilleur ennemi »

Intéressant mais j’ai du relire 2 fois l’article pour piger, il manque quelques clarifications pour les non-initiés (comment interpréter la courbe de difficulté, quelle en est la finalité (vers quoi veut-on tendre in-fine), explications sur la mini map d’exemple,…). Peut être que ça serait un peu plus clair en restant sur le même exemple du début jusqu’à la conclusion, même si je suppose que tu as varié pour montrer l’idée générale.

Fixed!

Pour l’exemple c’était voulu de faire quelque chose de différent. J’ai ajouté une note explicative.

C’est donc grâce à ça que les jeux sont mieux équilibrés qu’à l’époque de Quake et Thief. Ah ah ah !

drloser a dit :
C’est donc grâce à ça que les jeux sont mieux équilibrés qu’à l’époque de Quake et Thief. Ah ah ah !

Ahah je me suis dit la même chose.

Bon en tout cas article très intéressant, mais en effet ça manque un peu d’explication au départ pour ceux qui ne s’y connaissent pas forcément.

channie a dit :
Le RLD ne doit pas venir changer des situations de jeu qui sont mortelles mais dures. Il n’y a AUCUN mal à avoir des pics de difficulté de temps à autre.

Là j’ai quand même un doute. Généralement si un jeu m’habitue à une certaine difficulté, puis à un instant donné me met dans une situation où la difficulté monte énormément au point de mourir 2-3 fois sans réussir à passer (alors que jusqu’à ce moment je n’avais pas vu l’écran de mort du jeu), il s’agit du point où j’arrête le jeu sans retrouver la motivation nécessaire pour m’y remettre et le terminer.
Ça ne m’empêches pas à contrario de jouer à des jeux bien plus durs que mon niveau, dans lesquels je vais mourir non stop (VVVVVV, Super Meat Boy, Dark Souls, …). Mais cette espèce de discontinuité dans la difficulté me frustre, et je ne suis peut-être pas le seul.

PS: dans mon expérience ça peut être lié à une augmentation de la difficulté, ou bien à un changement de gameplay qui ne me plaît pas. Typiquement Deus Ex 3 et ses boss alors qu’on jouait stealth, Splinter Cell Blacklist et sa fin, …

channie a dit :
T’avais pas aimé Far Cry 3, doc?

Le jeu où tu n’as jamais la moindre impression de tension ? Bof, pas trop, non.

Pour moi, un gameplay bien foutu, c’est un gameplay qui te donne l’impression de surmonter des situations impossibles. Pas la peine que ce soit difficile d’ailleurs. L’impression de puissance est fonction de deux choses :
1) La dangerosité des ennemis : impossible de se sentir puissant face à des adversaires inoffensifs
2) La force de frappe du joueur
Le bon équilibre, c’est quand tu es vulnérable, mais que t’as une grosse puissance de frappe.

Un exemple très récent : Shadow Warrior. Le jeu est trop facile, mais ce n’est pas grave, car on a tout de même une grosse impression de puissance étant donné que les ennemis peuvent nous massacrer en 2 secondes, mais qu’on a toutes les cartes en mains pour les dominer.

Si t’y réfléchis bien, c’est à peu près la même impression que quand tu massacres les autres joueurs en multi à toi tout seul.

Le danger de certains types de jeux c’est aussi de mélanger la difficulté avec le concept de « grind », finir par réussir à passer un niveau après 30 essais (tous identiques, dans le cas où il n’y a pas de dimension tactique) c’est la définition de la f.. euh je veux dire ça ressemble plus à du grind qu’autre chose. Un truc qui peut rallonger la durée de vie au détriment du fun.

Je ne suis pas game designer donc je me garderai bien d’apporter une quelconque définition et/ou des solutions mais en tant que joueur c’est parfois ce que l’on ressent.

Alors que la difficulté, finalement on s’en fout un peu. C’est la tension, le stress, le sentiment de danger qui importe. Qu’est-ce qui est le plus excitant :
– Jouer au bilboquet les yeux fermés ? Super difficile, mais sans danger.
– Sauter à l’élastique ? Enfantin, mais potentiellement mortel.
J’insiste sur le potentiellement, car ce qui compte c’est l’impression donnée au joueur. (En réalité, t’as peut-être plus de chance de te blesser en jouant au bilboquet.)

Bref, c’est pour cette raison que des jeux super durs peuvent créer 0 stress, tandis que d’autres très faciles réussissent à induire une grosse tension. Bien sûr, si la difficulté est bien équilibrée, c’est encore mieux, mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Comme je l’ai dit, Shadow Warrior est un des FPS les plus faciles sortis cette année, mais aucun joueur ne s’en plaint.

(j’ai viré les commentaires qui n’apportaient rien au débat)

Helmut: Le papier de McEntee est bien fait, et est à lire si vous bossez sur un platformer. Par contre je trouve qu’il est difficile d’extrapoler ses conclusions pour des jeux à base de capacités libres comme Skyrim, Deus Ex ou Sly Raccoon.

Daemetrius: En l’occurence dans Deus Ex 3 et le dernier Splinter Cell, c’est un réel échec de game design plutôt que réglage de difficulté.

LeGreg: ça me fait penser à Super Meat Boy. Des niveaux très durs, mais un respawn instantané en cas d’échec qui aide à faire passer la pilule.

Doc: Du coup, est-ce que tout ne tombe pas à l’eau à partir du moment où le joueur comprend que la difficulté est illusoire ? Est-ce que les courses-poursuites dans GTA auraient la même saveur si les flics n’essayaient pas de nous tuer ? Je reste globalement d’accord, c’est vrai que posséder à soi tout seul l’équipe adverse en multi est quand même sacrément grisant.

Je n’ai pas dit que la difficulté était illusoire, mais qu’elle n’était pas si importante.

Shadow Warrior est un jeu très facile, mais si tu fais le con tu meurs en un instant. Idem dans Dishonored : c’est un jeu facile, mais où tu peux te faire trucider en un clin d’oeil. Le danger est donc réel, bien que ces jeux soient faciles.

A l’opposé, il y a des jeux comme Bioshock où la difficulté est peut-être très bien équilibrée, mais tu n’as jamais l’impression d’être mis en danger. La preuve qu’il faut distinguer la tension causée par la sensation de danger d’une part, et la difficulté d’autre part. La première est cruciale, la seconde beaucoup moins.

Si tu réussis à faire un jeu facile tout en donnant au joueur l’impression d’être constamment en danger, c’est gagné.

Alors que la difficulté, finalement on s’en fout un peu. C’est la tension, le stress, le sentiment de danger qui importe. Qu’est-ce qui est le plus excitant :
– Jouer au bilboquet les yeux fermés ? Super difficile, mais sans danger.
– Sauter à l’élastique ? Enfantin, mais potentiellement mortel.

Je trouve cette comparaison erronée. La plupart des bons jeux difficiles offrent une difficulté qui apporte un réel intérêt au gameplay. C’est une difficulté qui peut être appréciée pour le style de jeu qu’elle implique et pour le plaisir de progression/d’apprentissage/maîtrise.

Jouer au bilboquet les yeux fermés offre une difficulté sans saveur dans son exécution et apprentissage.

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