Catégories
Book reviews

Book Review: Creativity, Inc.

Lorsque j’avais dit que les Book Reviews revenaient, je pensais en faire un peu plus d’une par an. Et bien c’est raté :o)

Creativity, Inc
Creativity, Inc

Creativity, Inc par Ed Catmull

Difficile de classifier Creativity Inc. On pourrait hâtivement le ranger sur une étagère du rayon business pour s’en débarrasser une bonne fois pour toutes, en grommelant que gnagnagna-Pixar-c’était-mieux-avant-et-Disney-c’est-tout-pourri etc. Il n’empêche que c’est un ouvrage majeur, à mille lieues des bullshito-bouquins écrits par des power-bouffons™ pour entrepreneurs facilement influençables, et il ne va pas être simple de lui rendre proprement justice.

Catmull, c’est le gars qui a co-fondé Pixar aux côtés de John Lasseter et de Steve Jobs. Leur histoire, résumé en un chapitre est fascinante. Des premiers pas en animation 3D précalculée -incluant l’invention du smooth shading-, au coûteux divorce de George Lucas qui l’a conduit à se séparer de Pixar, en passant par le licenciement express de John Lasseter par Disney (il avait eu le malheur de leur proposer de s’intéresser aux ordinateurs), aux sautes d’humeur de Steve Jobs (« faisons la nique à ces FDPs d’Apple ! »), sans oublier les errements des premières années de Pixar (« Vendons de gros PCs invendables ! »).

Catmull, contrairement aux apparences, n’est pas un créatif au sens strict du terme. Bien qu’il ait poursuivi des études artistiques, il se rend compte relativement tôt qu’il n’arrivera jamais à devenir un animateur du calibre de Disney et change complètement de voie: il obtient un master en physique puis se tourne vers la discipline naissante de l’infographie. Il voit en effet dans les ordinateurs la possibilité de faciliter dramatiquement l’animation. Après quelques années de R&D en labo, il est repéré par George Lucas qui voit en lui l’homme qui lui faut pour chapeauter sa nouvelle division animation, dont les besoins techniques sont gigantesques.

Ce revirement fait de Catmull un facilitateur et très vite il embrasse entièrement son nouveau rôle: faire en sorte que n’importe lequel de ses collaborateurs, qu’il soit animateur, réalisateur, éclairagiste puisse faire son métier de la manière la plus efficace possible. Et pour cela il s’appuie sur plusieurs grands axes que Pixar et lui ont douloureusement appris au fil des années.

La prod, cet enfer

Une des premières leçons à accepter, c’est qu’une production « créative » -audiovisuelle mettons- est par nature chaotique. Les problèmes, blocages et autres périodes de crise sont légion. L’important n’étant non pas de les identifier (ça tout le monde peut le faire), mais de permettre à chacun, même relégué au fin fond de la structure hiérarchique, de pouvoir les corriger. En réfléchissant deux minutes à ce que ça implique, ça flanque le vertige. Cela requiert des dirigeants suffisamment sages pour, entre autres, respecter le processus de création, accepter les changements -parfois profonds-, faciliter les échanges inter-métiers, autoriser l’échec, donner de l’autonomie, rester accessible… Pour ne gratter que la surface.

En presque 30 ans de films d’anim, Catmull dresse un inventaire exhaustif sur les solutions apportées aux myriades de problèmes que Pixar a rencontré. En effet, toutes les productions du studio, succès comme échec, ont vu leur processus de développement criblé de soucis, qu’ils soient d’ordre techniques ou artistiques. Leurs solutions, souvent loin d’un simple « changez le réal », se forgent au fil du temps, et viennent renforcer les leçons accumulées des productions précédentes. On notera particulièrement la création du Braintrust, un atelier de revue des rushes où une sélection d’employés -qui change à chaque nouvelle instance- est invitée à faire part de ses remarques sur l’état du film quelque soit son niveau hiérarchique, ou encore le redesign complet de l’intérieur du building de Disney Animation afin de supprimer la séparation entre les execs et les petites mains.

On pourrait croire qu’accumuler les bonnes pratiques puisse conduire à un processus en béton armé ne laissant que peu de place aux erreurs, et par conséquent, à l’innovation. Un des mantras pour lequel il m’a fallu un bon moment pour en saisir la subtilité est celui-ci: « Il est parfois bien plus coûteux d’empêcher les erreurs que de les corriger ». (J’offre une copie de Race The Sun au premier qui m’en sort un exemple concret dans les commentaires, autre que celui du bouquin bien entendu :o)

Lâcher du lest

Évidemment, le livre est légèrement biaisé par son auteur qui se concentre sur les succès des films de Pixar et Disney Animation post-acquisition. Catmull fait notamment l’impasse sur Toy Story 3 et Cars 2. Aussi, les succès critiques mitigés de Brave et Monsters U sont malheureusement survolés pour n’en garder que le meilleur profil. Du reste on en ressort des leçons non-négligeables sur la conduite de projet (le scouting lors de la pré-production de Monsters U par exemple).

Achever la lecture de l’ouvrage de Catmull révèle un peu le même sentiment au sortir d’une GDC: on a une pêche d’enfer, et trop hâte d’appliquer tous ces précieux enseignements dans la vraie vie. Certains seront simples (prenez l’initiative tant que personne ne vous tape sur les doigts), d’autres plus complexes (établir votre propre version du Braintrust; organiser une journée de post-mortems…) C’est une lecture que je recommande à tous, elle résonnera cependant davantage auprès des créatifs de tout poil et particulièrement aux futurs chefs d’entreprise.

3 réponses sur « Book Review: Creativity, Inc. »

A priori, Pixar a oublié pas mal de ses prérogatives ces dernières années.
Concernant les erreurs, dans mon métier, plus on les détecte tot, moins ca coute cher. Par exemple, les détecter juste en sortie de production quand c’est chaud dans la tête des gens plutot que de diagnostiquer et corriger. Sans compter qu’une fois que c’est en prod dans les studios, faut les prévenir…

Chouette review sinon. Je kiffe ton style.

J’ai peut être mal compris mais je n’ai pas l’impression qu’il remette en cause le « plus on détecte tôt moins ça coûte cher à corriger ». Si c’est introduit dans un contexte d’explication des processus de Pixar alors je le vois plus comme « le processus de sécurité peut coûter plus cher que la correction des erreurs qu’il détecte ».
Je travaille dans une boite complètement embourbé dans les processus qualités et il m’arrive régulièrement de passer des journées à « corriger » des faux problèmes.

Bonne réponse de ch4p1 !

L’exemple employé c’est un des processus de création des personnages qui peut prendre plusieurs mois, justement pour éviter de donner des skins foireux ou des rigs de merde aux équipes d’animation. Or dans un contexte de crise où il faut refaire un rig de toute urgence parce que tu passes du bipède au quadrupède, tu ne peux pas raisonnablement passer 6 mois dessus sans savoir si ça va *vraiment* bénéficier à ton film.

Je t’envoie ton Race The Sun 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *